Le caractère tabou du sujet dans les familles, l’attrait de l’interdit, la recherche du plaisir sexuel et surtout le désintérêt pour les méthodes contraceptives poussent 62% d’adolescentes camerounaises à concevoir avant l’âge de 20 ans.
A 14 ans, Marlyse est enceinte de 6 mois déjà. Élève en classe de 4eau Lycée bilingue d’Emana, elle s’apprête à être maman. C’est aussi le cas de Pauline, 18 ans. Ce vendredi, l’adolescente habillée d’un Kaba vert, ballerine noire, est enceinte de 3 mois. Et déjà son corps ne supporte pas ce changement brusque. Mains sur les hanches, elle a de la peine à marcher pour emprunter un taxi. Affligée par cette situation qui perturbe sa scolarité, elle s’est résignée à son sort.
Le cas de ces deux adolescentes n’est pas isolé au Cameroun. Malgré la démocratisation des moyens de contraception, une frange non négligeable de jeunes filles âgées entre 14 et 19 ans se retrouvent avec des grossesses indésirables. Selon l’Enquête par grappes à indicateurs multiples réalisée en 2014, 55% à 62% d’adolescentes camerounaises ont leur première naissance avant d’atteindre 20 ans. Des recherches effectuées lors du 3ème recensement de la population et de l’habitat en 2005 indiquait que 3 jeunes femmes sur 10 de 15-19 ans (28%°) ont déjà commencé leur vie féconde : 23% sont déjà mères et 6% enceintes pour la première fois. Les grossesses non désirées représentent environ 5% des naissances.
Faible prévalence contraceptive
A l’origine de ce phénomène, l’attrait de l’interdit. Les jeunes sont poussées par la curiosité, la recherche du plaisir sexuel et même un esprit de suivisme. Ceci dans un contexte où le sexe reste un sujet tabou et le niveau de prévalence contraceptive faible selon le 3ème recensement général de la population et de l’Habitat.
En l’absence d’un dialogue entre les parents et les jeunes adolescentes, celles-ci sont curieuses de découvrir d’elles-mêmes, ce que l’on entend par sexualité. Par conséquent, elles se retrouvent avec des grossesses dont l’auteur n’est pas connu ou porté disparu. « Mes parents ne nous parlent pas de la sexualité à la maison. J’en discute souvent avec mes camarades ou je regarde ce qui se passe à la télévision », dit Arielle Mballa. Par ailleurs, l’adolescente dite de puberté est une période difficile à gérer avec les différents changements que subissent le corps de la jeune fille.
Naïves et vulnérables, les adolescentes cèdent facilement face à la pression exercée sur elles par leurs partenaires. Le chantage amoureux a fait tomber plus d’une dans le quotidien difficile de fille-mère. Berthe Odingue, 16 ans est une de ces victimes de l’amour. Elle porte une grossesse conçue lors des congés de pâques après que son petit amiait exigé d’elle une preuve d’amour. « J’ai couché avec lui par amour sans exiger une protection. Mon gars n’aime pas le préservatif car il estime qu’il bloque le plaisir. On n’éprouve pas de sensation sexuelle. C’est encombrant et ça fait mal. De plus, il est dur et blesse parfois. Raison pour laquelle il ne l’utilise pas lors des rapports. Mais cette fois-ci, je n’ai pas pu maitriser mon envie. J’ai entretenu des rapports lors de ma période féconde et c’est comme ça que je me retrouve enceinte. J’ai essayé d’avorter à deux reprises mais je n’ai pas réussi à évacuer la grossesse », confie-t-elle le visage malheureux.
De ce témoignage, il ressort également une des causes du fort taux de grossesses précoces observé dans notre société : le manque d’attrait des jeunes pour les méthodes contraceptives. Accessible tant au niveau du prix que de la disponibilité, le préservatif est boudé par de nombreux adolescents. C’est aussi le cas d’Adèle qui attend aujourd’hui son premier enfant. Ce mercredi, nous la rencontrons assise sur la véranda au domicile de sa tante, la mine soucieuse et les mains posées sur son ventre déjà bien rond. « J’ai un cycle irrégulier et parfois je n’arrive pas à bien compter pour déterminer ma période féconde. Cela fait déjà six mois que je suis sexuellement active. Mon gars n’utilise pas de préservatif et moi je n’aime pas les pilules car elles font prendre du poids. C’est parce que je n’ai pas su compter mon cycle cette fois que je me retrouve enceinte. Maintenant, même mon petit ami nie être l’auteur de ma grossesse », se désole l’adolescente aujourd’hui seule à faire face à cette nouvelle responsabilité lourde à porter pour une étudiante sans le sou.
Certaines filles utilisent des moyens de contraceptions mais résistent difficilement aux exigences de leurs amis lorsqu’ils refusent d’utiliser une méthode contraceptive. Plus précisément le préservatif qu’il soit féminin ou masculin. Alexandre Tongue, étudiant en faculté des sciences juridiques et politiques de l’université de Yaoundé II –soa est de ceux-là. « Lorsqu’on utilise le préservatif généralement appelé condom, on n’éprouve pas de plaisir sexuel. Moi, j’aime être en contact direct avec la fille. Ça donne plus de sensation et l'envie de continuer. Le préservatif cache parfois la virilité d’un homme. Même si ma copine exige d’en mettre, je ne le fais pas et je lui dis tout simplement qu’elle ne m’aime pas et n’a pas confiance en moi. Pour moi, une fille doit savoir gérer sa période féconde », assène le jeune homme. Il semble minimiser les conséquences d’une sexualité précoce. Elles sont pourtant nombreuses chez la jeune fille et touchent aux aspects physiques et psychologiques. Dans de nombreux cas de figure c’est la vie scolaire et familiale de l’adolescente qui s’en trouve fortement perturbée. Peu de parents acceptent de voir leur fille donner la vie avant d’avoir commencé la sienne. Esseulées, celles trouvent parfois une oreille attentive auprès de leurs proches. C’est ce qui est arrivé à Adèle citée plus haut. Mise à la porte par ses parents, elle s’est réfugiée chez une de ses tantes.
Avortement clandestin
«Lorsque mes parents ont appris que j’étais enceinte, les rapports avec eux ont complètement changé. Ma maman m’a mise à la porte. C’est ainsi que je me retrouve chez la petite sœur de mon père qui a accepté de m’accueillir malgré mon état. Quant à mon père il m’a demandé de répondre de mes actes », confie l’ado d’une voix désemparée. « Depuis que mes parents savent que je suis enceinte, les rapports ne sont plus les mêmes. Mon père ne m’adresse plus la parole mais continue à remplir son devoir de parents en me donnant l’argent de poche tous les mois. Mes cousines me regardent autrement et me manquent quelques fois du respect. C’est vraiment difficile mais je vis avec », regrette Bernadette.
En plus de voir les liens familiaux voler en éclat, les perceptives d’avoir un brillant avenir ou de poursuivre de bonnes études s’éloignent. Pour élever son enfant, Aline a dû mettre une pause sur ses études en classe de première. « Nous n’avons pas les moyens d’avoir une nounou pour s’occuper de l’enfant. Ma maman m’a demandé d’assumer mes responsabilités. J’ai dû mettre un arrêt après mon probatoire l’an dernier pour prendre soin de mon enfant. Cette année, je me suis débrouillée avec le papa de la petite pour constituer mon dossier et composer en tant que candidat libre au baccalauréat. Ce n’est pas facile de gérer étude et maternité mais je me bats », reconnaît la jeune fille.
Les adolescentes courent un grand risque pour leur santé. Elles croient trouver une solution avec l’avortement clandestin et se retrouvent victimes des changements de leur organisme. Plusieursd’entreelles ont perdu la vie et celle du petit être qu’elles portaient. Après son avortement, le cycle de Marie A., 18 ans à l’époque a connu des perturbations. « Lorsque j’ai découvert que j’étais enceinte, j’ai informé mon petit ami, qui a renoncé à toute responsabilité et m’a demandé d’évacuer la grossesse si je voulais continuer une relation avec lui. J’ai réfléchis pendant les deux premiers mois jusqu’à ce que j’adhère à sa proposition. Finalement, je suis allée voir un médecin dans une clinique privée. À la suite de cette opération, je ne voyais plus mes règles normalement. Mon cycle était devenu très irrégulier et je saignais abondamment, parfois deux fois en un mois. L’inquiétude m’a poussée à rencontrer un gynécologue », révèle Marie.
Infirmière à l’hôpital général de Yaoundé, Justine Nguene a une bonne connaissance de la problématique des grossesses précoces et de leurs conséquences sur la jeune fille. « Procréé entre 15 et 18 ans peut être source de nombreux risques. Il arrive que l’anus de la jeune fille se déchire et cela cause généralement des infections et des démangeaisons qui rendent l’organe g génitale rougeâtre. Pour d’autres, le bassin est trop étroit pour adosser la charge et là il faut prévoir une césarienne. Le décès du bébé peut aussi arriver lors de l’accouchement parce que la maman n’a pas pu supporter les douleurs et libérer assez d’oxygène pour le nouveau-né. Il peut aussi avoir un cas de stérilité puisque l’organisme de la jeune n’est pas assez préparé a subi des changements », explique la professionnelle de santé.
Préparer le jeune à l’amour
Les jeunes adolescentes doivent connaitre l’importance de se garder jusqu’au mariage. Elles ne doivent pas débuter des relations sexuelles lorsqu’elles ne sont pas en mesure d’assumer les conséquences, soulignent des professionnels de l’éducation sexuelle. D’autant que dans l’optique de les préparer à la vie sexuelle et d’éviter des grossesses indésirables, de nombreux conseils sont à leur disposition. Sur le plan scolaire, des établissements d’enseignement secondaire à l’exemple du collège Jean Tabi initient les jeunes filles à l’éducation sexuelle à travers une matière appelée « éducation à la vie et à l’amour (Eva) ». Cet enseignement commence dès la classe de sixième pour certains et quatrième pour d’autres
« Dès la classe de sixième, nous faisons part du projet de Dieu aux jeunes pour chaque individu. Dieu nous a envoyé nous multiplier et développer la terre. Et cela doit se faire dans le mariage. Par la suite, nous présentons les différents changements auxquels est soumis l’organisme de la jeune fille avec les différentes parties pour essayer de démystifier ce qui est considéré comme tabou dans certaines familles. Nous abordons également la partie psychologique de l’adolescente pour montrer les degrés d’affection. Elles ont besoin de l’affection paternelle et maternelle pour mieux vivre leur sexualité. Une étude comparée des psychologies est faite et nous organisons aussi des causeries éducatives », explique Louis Bimogo, formateur en Eva au collège Jean Tabi de Yaoundé.
En dehors de l’éducation scolaire, il existe d’autres moyens de lutter contre les grossesses chez les jeunes adolescentes. Ils peuvent être classés en trois catégories, des méthodes naturelles, mécaniques et chimiques. Les méthodes naturelles comme l’abstinence, l’apparition de la glaire cervicale (liquide blanchâtre et gluant indiquant la période de reproduction chez certaines adolescentes et la température qui augmente après les jours de règles favorisent une meilleure connaissance de soi et une bonne maitrise sexuelle. « Je préfère attendre, le sexe ne fuit pas. J’ai tout mon temps pour le découvrir et d’en profiter. Pour le moment, mes études sont très difficiles et je préfère m’y concentrer. Avoir un enfant tout de suite, serait source de calvaire puisque je ne travaille pas. Donc je préfère attendre », affirme Solange Otélé, étudiante en première année en sciences économiques à l’université de Yaoundé II Soa. L’abstinence est le moyen propice pour éviter les grossesses. « Il existe aussi la méthode de la température du corps. Lorsque celle-ci est élevée, il s’agit de notre période féconde. Par conséquent, nous devons nous abstenir des rapports sexuels. La glaire cervicale est aussi un moyen de protection. Il s’agit d’un liquide blanchâtre et gluant qui indique la période de reproduction chez certaines adolescentes », explique madame Noa, infirmière accoucheuse à l’hôpital général de Yaoundé et responsable du planning familial.
« Nous regroupons les contraceptifs en trois catégories. Les contraceptions hormonales, de barrière et naturelle », ajoute-t-elle. Comme méthode hormonale, nous avons les implants, la pilule qui empêche l’ovule de murir à l’intérieur des ovaires et durcit la glaire pour boucher le col de l’utérus et empêche la nidation. Les injectables qui se prennent après chaque deux ou trois mois. Pour la contraception de barrière, il s’agit des préservatifs, du stérilet qui est un morceau de matière en plastique empêchant à l’œuf de se fixer dans l’utérus et peut se mettre sur une durée variable et les spermicides », énumère-t-elle en soulignant le type de contraceptif recommandé pour la jeune fille. « Nous conseillons toujours aux adolescentes de pratiquer l’abstinence c’est le meilleur moyen d’éviter les Mst et les grossesses précoces. Néanmoins, pour celles qui sont déjà sexuellement active, le préservatif est à privilégier puisqu’il permet aussi d’éviter les Mst. Les filles peuvent également prendre la pilule buvable ou injectable », conseille l’infirmière aux adolescentes.
Elsa Kane avec Marie Laure Mbena (stagiaire)