« Voici venir les rêveurs » d’Imbolo Mbue campe le destin d’un couple d’immigrés camerounais confrontés aux réalités des États-Unis.
Bien avant la sortie de son livre Imbolo Mbue, 34 ans était déjà sur les feux des projecteurs des médias. Le manuscrit de l’américaine d’origine camerounaise, a fait l’objet de surenchère des maisons d’édition américaine. Au point d’être acheté en 2014 à 1 million de dollars par la maison « Random House ». Une somme jamais proposée jusqu’ici pour un premier roman et pour un auteur africain. Pour certains observateurs, le ramdam médiatique autour d’Imbolo Mbue arrivée au Etats-Unis à 16 ans pour poursuivre ses études, était une opération de marketing. Autant dire que « Voici venus les rêveurs » était attendu. Le livre est-il à la hauteur de l’exposition médiatique dont il a bénéficié ?
Disponible pour le moment au Cameroun dans certains centres culturels comme l’Institut français (on peut aussi l’acheter en ligne), le roman conduit le lecteur à la rencontre d’un couple d’immigrés clandestins. Le livre nous ramène en 2007, soit un avant la récession qui a durement frappé les Etats-Unis et l’Europe. Jende Jonda réussi à quitter son Limbé natal pour le pays de l’oncle Sam où il vit depuis 2 ans. A force de subterfuges, il réussit même à faire venir à ses côtés Neni sa femme et leur garçon Liomi. Avec l’aide de son cousin Wiston gagnant de la loterie américaine, Jende décroche un poste de chauffeur très bien payé auprès de Clark Edwards, magna des finances et associé de la prestigieuse banque « Lehman and brothers ». Néni se lance dans des études de pharmacie, son rêve. Mais très vite la réalité rattrape ses deux êtres ayant quitté le Cameroun persuadé de ne jamais devenir « quelqu’un ». Obtenir la « green card », est un chemin de croix, Jende peut être expulsé à tout moment. A New-York, la vie est chère et rude pour les «gagne-petit ». Seul Harlem, le célèbre ghetto les accueille.
« Green card »
A travers le portrait de cette famille, c’est le destin de centaine d’immigrés clandestins africains qui est décrit. L’auteure ne s’attaque pas à ce qui pousse ces hommes à prendre le bateau. Même si Jende évoque la mal gouvernance et la corruption à l’origine de frustrations et d’un malaise social. Elle peint des gens attirés par une vie facile, les mirages de l’occident. Pourtant les Usa ne sont pas le paradis.
Au couple Jonga, Imbolo Mbue oppose d’ailleurs les époux Edwards et leurs deux fils. Le père drogué de travail a sacrifié son âme d’artiste pour la recherche effrénée de l’argent. Mme Edwards noie son passé d’enfant pauvre et battue dans l’alcool et les plaisirs mondains, le fils ainé rejette son milieu pour s’exiler à Inde tandis qu’à tout juste 7 ans, le petit dernier fait déjà face à la solitude.
Par sa thématique, « Voici venir les rêveurs », rappelle « Américanah » de Chimamanda Ngozi Adichié, « Le ravissement des innocents » de Taiyé Selasi. Imbolo Mbue a réussi son pari en créant un univers où le pidgin english et le bakweri donnent une singularité de plus à son œuvre. L’histoire est si bien racontée avec humour et vivacité, qu’on la lit d’une traite jusqu’à la fin. Il faut aussi saluer la traduction en français de Sarah Tardy qui a su respecter la touche camerounaise de l’auteure. Imbolo Mbue est l’une des quelques auteurs « anglophones » traduite en français. Pour beaucoup de lecteurs camerounais d'expressions francophones il s’agira de découvrir une culture peu ou mal connue.
Elsa Kane Njiale
Imbolo Mbué
Voici venir les rêveurs
Edition Belfond
Août 2016, 383 pages
14300 F Cfa , 22euros